Le réemploi des matériaux dans le BTP

Mis à jour le 24 mars 2023

Le réchauffement climatique a pour principale origine les émissions de gaz à effet de serre tels que le dioxyde de carbone, le méthane qui sont liées en grande partie à l’activité humaine…Toutes les filières sont concernées et les activités de construction en particulier.

Contexte et définitions

La filière de la construction peut contribuer favorablement à cet objectif dans trois directions :

  • fabriquer et élaborer des bâtiments propres, verts et durables en utilisant des techniques innovantes, moins consommatrices en énergie mais également en plébiscitant les énergies renouvelables ;
  • influencer la fabrication de matériaux avec des techniques plus sobres : elle nécessite la production, l’extraction et la mobilisation de matières premières, forte consommatrice d’énergie et libérant de grande quantité de CO2. La chaine peut être revue favorablement ;
  • réduire drastiquement la quantité de déchets, qui représentait en 2012 approximativement 246 millions de tonnes pour l’année.

Dans une logique de développement durable et de circuits courts, le réemploi et la réutilisation des matériaux représentent une solution à la fois économique et écologique, pour « réduire l’empreinte carbone » et répondre à ce qui est devenu une demande sociétale.

L’État a d’ailleurs mis en place en avril 2018, la feuille de route de l’économie circulaire (FREC). En août 2018 la loi ESSOC et son article 49 ont été instaurés. Ils prévoient notamment l'introduction de la notion « d’effet équivalent » en substituant aux prescriptions de moyens des objectifs de « résultats » ou plus précisément d’atteinte de « résultats équivalents ». Le réemploi y apparait en tant qu’objectif clair.

Quelques définitions

La valorisation des déchets s’effectue au travers de filières différentes selon la finalité des matériaux et leur utilisation lors d’un réemploi. Aussi est-il primordial que soit clairement définis chacun de ces termes.

Le réemploi est une opération :

  • qui permet à des biens qui ne sont pas des déchets d’être utilisés à nouveau ;
  • sans qu’il y ait modification de leur usage initial (poignée de porte réemployée en poignée de porte) ;
  • avec un domaine d’emploi à préciser : à l’identique, en mode dégradé ou déclassé (porte coupe-feu réemployées en portes palières) ou en mode « upgradé » (bardage sur maison individuelle réemployé en bardage sur ERP) ;
  • sans ou avec un traitement/préparation/reconditionnement (contrôle visuel, lavage, nettoyage, réparation… ou encore remplacement de joints sur équipements sanitaires).

La réutilisation est une opération :

  • qui impose un usage « différencié » de l’usage initial ;
  • qui permet à un déchet d’être utilisé à nouveau en le détournant son usage initial ;
  • avec traitement, préparation et/ou réparation qui ne nécessite pas de processus ou d’installation industrielle importantes.

Par exemple : cas d’une utilisation de revêtements de façade en pavage de sol, fenêtres utilisées en tant que cloisonnement intérieur.

Les acteurs du bâtiment seront confrontés aux deux typologies de démarche.

L'action de l'assureur

La situation et les orientations actuelles dans les métiers du BTP incitent les entreprises à répondre à des appels d’offres où le réemploi est imposé de manière contractuelle, par certains maîtres d’ouvrage ou maîtres d’œuvre, soucieux de l’environnement, et volontaires pour se différentier sur ces propositions.

Des créations de plateformes d’économie circulaire sur le réemploi de matériaux à consulter par les acteurs d’un projet ont été créées dans le but de faciliter les contacts et la réalisation de projets.

Lorsque ces propositions peuvent être source d’économie, la percolation de l’ensemble de la filière construction suit.

Les organisations professionnelles sont parties prenantes dans la valorisation de ces nouvelles démarches, dans l’intérêt de leurs adhérents, afin qu’ils ne perdent pas les marchés. Les organismes techniques et scientifiques tels que l’ADEME ou le CSTB accompagnent ces évolutions en proposant leurs réflexions et leurs services.

Comme tous les autres acteurs du BTP, l’assureur engage une démarche RSE (Responsabilité sociétale et environnementale des entreprises), responsable vis-à-vis des exigences qu’il s’impose mais également afin d’aider et d’accompagner ses sociétaires et assurés. Le but est d’encourager et d’intégrer ces nouvelles approches.

Les assureurs prennent donc le sujet du réemploi à bras le corps avec en tête la SMABTP qui suit des acteurs de la filière naissante. Des réflexions sont aussi en cours à la FFA (Fédération Française des Assurances).

Les réflexions actuelles sur le réemploi menées par les assureurs

Les points importants

Soucieux de bien comprendre et appréhender les risques pour mieux adapter les garanties qui lui sont demandées, le questionnement de l’assureur est le suivant : peut-on octroyer une assurance de responsabilité décennale à une entreprise qui met en œuvre des produits de réemploi, produits qui accusent déjà une certaine durée de vie parfois déjà bien supérieure à 10 ans ?

Confrontés à des garanties de longue durée, les assureurs sont particulièrement attentifs à la fiabilité et à la durabilité des matériaux et procédés utilisés lors des travaux. Pour l’estimation du risque décennal, les contrats d’assurance sont donc basés sur les critères techniques de la construction, divisés en deux grandes catégories Technique courante (TC) et Technique non courante (TNC).

Le réemploi sera facilité si l’évaluation des produits de réemploi est optimale et relève donc de technique courante dans l’usage et le domaine d’emploi prévu pour les produits réemployés.

Un matériau de réemploi pourra être assuré en technique non courante après diagnostic et l’évaluation qui permet de fiabiliser le matériau en fonction d’un domaine d’emploi.

L’absence de référentiel technique à ce jour sur le réemploi des matériaux dans le BTP incite l’assureur à trouver des solutions pour accompagner ses assurés. Un travail est effectué actuellement par le CSTB avec l’élaboration de guides qui auront vocation à devenir des règles professionnelles relevant de la technique courante.

Quels risques techniques peuvent affecter des matériaux ou produits de récupération ?

  • Dégradation des performances essentielles (baisse de la résistance mécanique, de performance thermique, acoustique, de résistance au feu…) et absence d’évaluation des performances résiduelles après déconstruction ;
  • mise en place des produits de réemploi dans des bâtiments à destination plus exigeante en termes de performance ;
  • évolution importante des caractéristiques réglementaires ou normatives sur certains produits ;
  • dégradation des matériaux à la dépose lors de la déconstruction par défaut de formation des prestataires ;
  • non aptitude des matériaux dans un réemploi avec une fonction « structurelle » donc touchant potentiellement à la sécurité des personnes ;
  • non aptitude à l’usage des matériaux de clos/couvert, équipements électriques et sanitaires, matériaux de seconde œuvre car impactant la santé ou la sécurité ;
  • développement ou introduction de parasites.

Les documents de contractualisation du projet et les documents relatifs au site de déconstruction seront importants lors de l’analyse technique que fera l’assureur. Il s’appuiera de préférence sur un interlocuteur unique, gestionnaire du projet, et pouvant avoir une vision globale des différentes opérations.

La structuration de la filière du réemploi dans les années à venir est primordiale pour la bonne tenue des projets et leur parfaite assurabilité.

Le processus

La bonne compréhension du processus commence par la connaissance des acteurs du réemploi sur un projet de déconstruction (et de reconstruction) donné permettant de récupérer les produits ou les matériaux de remploi. À chaque acteur correspond une ou plusieurs missions bien définies, des responsabilités consécutives bien précises (responsabilité civile, responsabilité civile décennale…) avec des interfaces entre eux.

Les acteurs 

  • en général, un maître d’ouvrage MOA « A » cède ou vend les matériaux à un maître d’ouvrage acheteur MOA « B », de l’ouvrage à construire ou rénover avec ces mêmes matériaux ;
  • l'entreprise de curage qui déconstruit l’ouvrage de « A ». Cette entreprise sera sensibilisée aux produits de réemploi et formée aux méthodologies de dépose ;
  • un diagnostiqueur « ressource » donnera une vision « macro » des possibilités de réemploi (visuel, type de produit déconstruit, quantitatif, état sommaire). Le diagnostic ressource « déchets » est obligatoire depuis 2012 pour tout bâtiment de surface > 1 000 m² (décret n° 2011-610 du 31 mai 2011). Ce seuil évoluera probablement dans les mois qui viennent ;
  • un diagnostiqueur réemploi qui effectuera une analyse plus poussée. Car le diagnostic ne doit pas seulement être quantitatif mais également qualitatif. Il doit permettre d’évaluer la performance du produit en prenant en compte toutes les contraintes du projet. Cette mission peut intervenir avant et après la déconstruction (voir ci-dessous) et elle doit être parfaitement déterminée dans ses objectifs afin de périmètrer les futures responsabilités ;
  • les entreprises de stockage des produits, les entreprises de reconditionnement (lavage, nettoyage, réparation…) des produits qui ne pourront pas toujours être revalorisés en l’état, et les entreprises de mise en œuvre des produits sélectionnés. Tous ces intervenants devront être formés aux méthodologies et aux techniques des matériaux de réemploi ; 
  • des plateformes physiques de stockage de matériaux de déconstruction ont été créés depuis 3 ou 4 ans. Les matériaux sans reconditionnements ni procédures de tests et essais (requalification) y sont parfois vendus, ce qui représente un risque non négligeable pour ces acteurs s’ils ne disposent pas d’assurance adéquate pour cette activité.

Le diagnostic réemploi

Ce diagnostic est une étape important du projet « réemploi ». L’un des enjeux portera sur l’évaluation des performances des produits réemployés.

Un diagnostic plus poussé portera sur l’implantation, le contexte de vie du bâtiment, le mode d’utilisation des produits (produits structurels très sollicités, dégradation des produits en fonction de leur exposition aux intempéries, au soleil par exemple, produits touchant à la sécurité…). Aussi dans certains cas, des tests ou essais (seulement les plus significatifs et pertinents) seront préconisés sur les matériaux. Il s’agira d’essais techniques en laboratoire pour la qualification du matériau lui-même, afin d’estimer en mode de preuve les performances résiduelles du matériau pour justifier du domaine d’emploi prévu.

Ce diagnostic fera l’objet d’une nouvelle mission réalisée par un diagnostiqueur « réemploi » dont le profil pourra être sensiblement différent selon les cas : maîtrise d’œuvre, bureau de contrôle, entreprises formées.

Les principes suivants sont proposés pour permettre une bonne assurabilité du projet :

  • un référentiel technique en vue d’offrir un cadre de garantie générique, simplifié et adapté aux composants d’ouvrages développés en matériaux de réemploi ;
  • une méthodologie pour commander et prescrire le réemploi, dans une logique opérationnelle ;
  • analyse du couple « matériau/emploi » : un matériau est éligible au réemploi pour un domaine précis ;
  • proposition de solutions de domaine de réemploi plus simples que le domaine d’emploi.

Technique courante ou non courante

Pour être en technique courante, plusieurs pistes se dégagent actuellement :

  • l’utilisation de règles professionnelles (en cours d’élaboration) relatives aux produits de réemploi visés dans le projet ;
  • l’ATEX :  pour rappel l’Appréciation Technique d’Expérimentation du CSTB est une procédure rapide d'évaluation technique formulée par un groupe d'experts sur tout produit, procédé ou équipement innovant. Cette évaluation permet des premiers retours d'expérience soit sur la mise en œuvre des procédés, soit pour un projet unique. Elle est assortie d’un avis favorable d’un bureau de contrôle.

Tout projet impliquant des matériaux de réemploi doit être signalé et déclaré à l’assureur par l’entreprise metteur en œuvre, par la maîtrise d’ouvrage ou par la maîtrise d’œuvre gérant le projet.

Conclusion

Une vaste démarche nationale et européenne est en route pour la création d’indicateurs et d’outils communs, utile à la profession de la construction et à ses acteurs tant décideurs (maître d’ouvrage) qu’industriels, négoces entrepreneurs, et permettant d’évaluer à terme la valorisation effective de matériaux réemployés.

Ceci ne va pas sans la nécessité d’établir un cadre technique et normatif plus large (ou simplifié) reconnu par tous y compris par les assureurs.

Actuellement, de gros efforts de communication et de partage d’expériences sont effectués auprès des acteurs de la filière du bâtiment et les collectivités.

La feuille de route de l’économie circulaire de 2018 (FREC) semble montrer que l’État prend en main son rôle de facilitateur.