Le bâtiment face aux enjeux de la décarbonation

Mis à jour le 12 octobre 2022

Le dérèglement climatique devient chaque année plus visible : canicules, incendies, sécheresses et inondations en sont des marqueurs perceptibles jusqu’en France.

Il devient indispensable d’agir pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, car les « générations futures » qui subiront de plein fouet la dégradation de leur environnement sont en réalité déjà nées.

La responsabilité de la filière bâtiment à cet égard est considérable et à la hauteur de sa capacité d’action : l’usage des bâtiments et les activités de construction concentrent environ le tiers des émissions nationales. Tendre vers la neutralité carbone implique de diviser par 20 les émissions de gaz à effet de serre des bâtiments par rapport aux niveaux actuels en moins de 30 ans, un objectif titanesque qui nécessite de déployer à grande échelle la rénovation énergétique et l’emploi d’énergie bas carbone, tout en améliorant la sobriété des constructions.

Comprendre le dérèglement climatique

La cause : les émissions de gaz à effet de serre

Depuis la révolution industrielle, l’usage croissant des combustibles fossiles a permis un développement économique et social sans précédent. Ce progrès a, pour autant, été accompagné d’émissions de gaz à effet de serre (GES), dont la concentration atmosphérique atteint aujourd’hui des niveaux inédits dans l’histoire de l’Humanité. La modification de la composition de l’atmosphère amplifie l’effet de serre naturel et vient perturber le fragile équilibre climatique qui s’était établi depuis des centaines de milliers d’années, occasionnant peu à peu par une élévation de la température de la surface terrestre.
Dossier Le-bâtiment-face-aux-enjeux-de-la-décarbonation illustration1Évolution de la concentration en CO2 atmosphérique. Mise en image par Femke Nijsse sur la base de données issues de l’analyse de carottes glaciaires et des mesures de la concentration en CO2 par l’observatoire de Hawaï.

Des conséquences lourdes sur les sociétés humaines

Malgré les avertissements du GIEC depuis plus de trente ans, le réchauffement constaté par rapport au niveau pré-industriel s’intensifie année après année. Il atteint aujourd’hui +0,9°C et pourrait s’élever de +2°C à +7°C à la fin du siècle suivant l’évolution de nos émissions. Même en agissant dès maintenant pour limiter le réchauffement, en tenant l’objectif de +2°C fixé par l’Accord de Paris, des conséquences désastreuses sont déjà inévitables : épisodes de canicule, alternance de sécheresses et d’inondations, phénomènes météo extrêmes plus intenses, submersion de certaines zones côtières, bouleversement des écosystèmes, fonte des glaces, dangers sanitaires, crises alimentaires, déplacements de populations, etc. Nous pouvons encore agir pour en limiter l’ampleur, même si au-delà de +2°C de réchauffement, le déclenchement de boucles de rétroaction auto-alimentées fait craindre un risque d’emballement incontrôlable du système climatique.

La réponse de la France et la trajectoire envisagée pour le secteur des bâtiments

En France, la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) centralise et articule les actions des différents secteurs économiques pour atteindre la neutralité carbone à horizon 2050. Elle appelle notamment à diviser les émissions directes sur le sol national par un facteur 6 et à doubler les puits de carbone.

À l’égard des enjeux, le bâtiment est un secteur crucial. Il concentre près du tiers des émissions de gaz à effet de serre nationales : 28% par l’usage des bâtiments, en majorité par le chauffage, et 5% par l’activité de construction, rénovation et déconstruction [2]. Si l’objectif de réduction des émissions est majoritairement porté par le plan de rénovation des bâtiments existants, la RE 2020 préfigure une nouvelle manière de construire, compatible avec les objectifs climatiques, avec des bâtiments plus sobres en matériaux, faiblement consommateurs d’énergie et chauffés avec de l’énergie décarbonée.

Pour l’usage des bâtiments, qui représente 80 Mt (millions de tonnes) de CO2, l’objectif de réduction des émissions de la SNBC se déploie sur deux échelles de temps. D’abord sur la décennie en cours, à horizon 2030, un premier effort doit permettre de réduire les émissions de moitié pour atteindre 45 Mt de CO2. Puis, à horizon 2050, une seconde phase doit mener le secteur tout près de la neutralité carbone, avec des émissions limitées à 5 Mt de CO2. Ces objectifs forts visent à rompre avec la relative stabilité des émissions des bâtiments, qui n’avaient jusqu’ici que très peu baissé depuis les années 1990.

Dossier Le-bâtiment-face-aux-enjeux-de-la-décarbonation illustration2Source : rapport grand public du Haut Conseil pour le Climat, 2020.

L’artificialisation des sols est également en cause : avec 30 000 hectares urbanisés chaque année, l’équivalent d’un département tous les 20 ans, les émissions de GES induites s’élèvent à 12 Mt de CO2 par an. L’objectif national de « zéro artificialisation nette » répond à cet enjeu spécifique.

Acteurs du bâtiment, comment agir pour préserver le climat ?

En tant que simples citoyens, le premier pas est de s’informer pour comprendre l’ampleur du problème climatique et des transformations demandées pour y répondre.

Face à l’enjeu climatique, les maîtres d’ouvrage ont la responsabilité d’impulser une dynamique vertueuse dans leurs opérations, en s’écartant des automatismes d’hier et en portant des ambitions environnementales fortes. Dès la genèse du projet, l’usage du foncier doit faire l’objet d’un questionnement approfondi dans une optique de maîtrise de l’étalement urbain. Par exemple, l’implantation des nouvelles constructions dans d’anciennes friches urbaines requalifiées ou la densification des zones bâties existantes, y-compris du tissu pavillonnaire, peuvent répondre à cet objectif. Pour les parcelles déjà bâties et occupées par des immeubles vétustes, le choix d’une restructuration plutôt que d’une démolition/reconstruction peut permettre des économies considérables de carbone. Cette option est particulièrement viable pour les immeubles de bureaux des années 1970-1980 qui peuvent retrouver une qualité d’usage conforme aux standards actuels.

Pour les maîtres d’œuvre, le premier enjeu sera d’accompagner leurs clients avec rigueur dans la constitution d’une véritable comptabilité carbone, rendue obligatoire avec la RE 2020. A chaque élément constitutif d’un bâtiment devra être associé une quantité de CO2, qui deviendra un facteur de sélection des choix constructifs au même titre que l’investissement en euros. La maîtrise des ordres de grandeur et la capacité à hiérarchiser les actions d’économie de carbone seront alors des atouts recherchés. Le développement du BIM et sa capacité à quantifier rapidement les éléments constitutifs du bâti devraient faciliter progressivement cette évaluation. L’ajout de la thématique carbone à la longue liste des contraintes régissant les projets de construction sera aussi l’occasion de déployer encore d’avantage de créativité pour les concepteurs.

Quelles sont les actions possibles ?  

Dans les projets de construction et de rénovation, des actions concrètes de réduction des émissions de GES sont possibles à tous les niveaux. En voici quelques exemples :

  • limiter le nombre de places de stationnement en souterrain en n’allant pas au-delà des niveaux imposés par les PLU. Le choix de parkings indépendants, démontables ou convertibles en bureaux, peut-être une alternative intéressante sur le plan économique ;
  • privilégier autant que possible la gestion à ciel ouvert des eaux pluviales ou l’infiltration plutôt que la réalisation d’ouvrages de rétention, en évitant en particulier les ouvrages de rétention en toiture qui nécessitent des renforts de structure conséquents ;
  • opter, lorsque c’est possible, pour des matériaux à plus faible impact carbone (ciments « bas carbone », bois, bio sourcés, produits faiblement transformés…) ;
  • intégrer dans l’acte de construire la démarche de l’économie circulaire en anticipant dès la conception le réemploi potentiel de matériaux et produits de construction mais aussi leur éventuelle réemployabilité future. Il sera nécessaire d’anticiper la démontabilité des produits mis en œuvre, pour en faciliter la dépose lors des rénovations qui interviendront au cours de la vie de l’ouvrage, jusqu’à la déconstruction totale du bâtiment ;
  • pour les façades veiller à l’équilibre entre apport de lumière naturelle, déperditions thermiques en hiver et prévention du risque de surchauffe en été ;
  • maîtriser les déperditions thermiques par l’enveloppe, dans la continuité des progrès engagés depuis la RT 2012, en envisageant pour chaque projet des parois aux épaisseurs suffisantes dès les premiers traits de crayon, en employant à des isolants performants et durables et en traitant systématiquement les ponts thermiques ;
  • sélectionner des équipements de production de chaleur efficaces et employant des énergies faiblement carbonées comme l’électricité et le bois. Les orientations de la RE 2020 allant clairement dans ce sens.

Pour les entreprises, la remise en question de nombre de techniques constructives incite à monter en compétences sur les enjeux du carbone, pour devenir apte à répondre à des marchés plus exigeants et à challenger les maîtres d’œuvre sur les orientations techniques les plus opportunes. L’emploi de procédés nouveaux, avec une technicité parfois avancée demande aussi de former les équipes d’exécution aux nouveautés qui se démocratiseront sur les chantiers. Dans un environnement contraint, la qualité d’exécution ne peut pas être une variable d’ajustement, car elle conditionne la pérennité de l’ouvrage, critère indispensable de la maîtrise de son impact carbone.

Pour les industriels enfin, l’effort consiste à travailler l’écoconception des produits pour en améliorer l’impact, en agissant à la fois sur l’efficacité des processus de fabrication (réduction des besoins calorifiques, optimisation énergétique, recours à la chaleur renouvelable, recyclage des pertes de production) et sur les matières premières employées (recours à des matériaux biosourcés, faiblement carbonés et/ou à proportion importante de contenu recyclé, en limitant les distances d’approvisionnement, mais aussi possibilité de réparabilité, de réemploi).

Pour transformer ces efforts en atouts commerciaux, la communication technique est primordiale : seule la caractérisation de l’impact environnemental permettra aux maîtres d’œuvre de valoriser les produits. La réalisation de Fiches de Données Environnementales et Sanitaires (FDES) pour les produits de construction et de Profils Environnemental Produit (PEP) pour les équipements techniques. La base nationale INIES qui agrège ces données contient déjà plus de 2000 références, complétées par des données par défaut pour les items manquants. Chaque année, le baromètre INIES met en évidence la liste prioritaire de familles pour lesquelles des déclarations sont manquantes.

Conclusion

L’ampleur de la transformation requise est colossale et il appartient donc à l’ensemble des acteurs du bâtiment de se saisir de l’enjeu climatique. Pour y parvenir, le questionnement des pratiques existantes et le partage des solutions efficaces sont des modes de fonctionnement indispensables. Il faut apprendre à faire mieux avec moins, à utiliser plus efficacement les ressources mises à disposition par la nature, pour continuer à bâtir des lieux de vie agréables et durables.

 

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